25 Juin Télétravail et/ou semaine de 4 jours ? Que négocier ?
Article de Maud Stéphan, déléguée générale de l’association, pour le supplément du magazine de l’ANDRH n°625 du mois de juin 2023
Le 10 mai 2023, lors des Rencontres du CESE consacré à l’enjeu du Travail, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, affirmait que « l’organisation du travail doit devenir un sujet de négociation obligatoire dans l’entreprise ». Au-delà du caractère obligatoire ou non, il est clair que les différentes transformations sociologiques, démographiques, environnementales et de pouvoir d’achat appellent à placer le sujet du Travail sur la table des négociations, de le traiter comme un ensemble, et non en silo : conditions/ santé/ temps… Sur ce dernier volet, après la vague d’accords signés sur le télétravail en sortie de pandémie, les interrogations se portent désormais sur le passage à la semaine de 4 jours. Faut-il ouvrir des négociations sur ce nouveau rythme de travail ? Faut-il conjuguer ou arbitrer entre télétravail et semaine de 4 jours ? Quels enseignements [1] tirer des premières expérimentations, en particulier des points de discussions entre les partenaires sociaux ?
La semaine de 4 jours, pour quoi faire ?
Depuis quelques mois, la littérature ne manque pas sur les tests de la semaine de 4 jours dans des entreprises ou des administrations publiques en France. Dans d’autres pays, les expériences datent de plusieurs années, sont réalisées à grande échelle et s’inscrivent dans une transformation sociétale :
- En Islande, l’essai effectué entre 2015 et 2021 se révèle « très concluant » selon le rapport de l’Alda [2] qui annonce un effet positif sur le bien-être des salariés (réduction du stress et du burnout) ainsi qu’une augmentation de la productivité,
- En Espagne, 200 entreprises volontaires ont commencé, en 2022, une phase test pendant trois ans,
- Au Royaume-Uni, la même expérience a concerné 3 300 salariés dans une soixantaine d’entreprises entre juin et décembre 2022,
- En Belgique, le phénomène s’est institutionnalisé à l’aune de la réforme “deal pour l’emploi ”, approuvée par la chambre des représentants belges le 29 septembre 2022, qui offre la possibilité aux salariés des entreprises du public et du privé de travailler 4 jours par semaine pour le même salaire.
Si certains représentants des salariés poussent ce sujet, les premières expériences dans les entreprises françaises répondent avant tout à une volonté de l’employeur. Les raisons invoquées sont : le souci d’accroître l’attractivité face à une pénurie de main d’œuvre ou un marché concurrentiel sur certains profils, répondre aux attentes de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, proposer une alternative aux salariés dont les postes sont non éligibles au télétravail, réduire les arrêts maladie et l’absentéisme. La transition écologique constitue un autre argument, avancé notamment par des élus syndicaux à l’automne 2022 au moment des plans de sobriété. Des chercheurs commencent d’ailleurs à démontrer que plus les pays réduisent les heures de travail, plus leurs émissions de carbone diminuent [3].
Les bénéfices constatés d’un point de vue collaborateur sont nombreux :
- Une réduction du stress et de la fatigue générés en partie par les déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Malgré une amplitude horaire potentiellement plus importante, le jour de repos supplémentaire permettrait de limiter ces inconvénients,
- Une satisfaction attachée à une plus grande flexibilité et du temps dédié aux activités personnelles. Un dirigeant de PME témoignait que « la véritable demande des collaborateurs est la réappropriation d’un temps personnel au-delà du temps familial. Ce jour off n’est pas un jour de week-end ou de congé. Et le télétravail n’apporte pas cet avantage »,
- Une baisse de l’absentéisme avec une diminution du nombre d’arrêts maladie et de burn-out,
- L’instauration d’une meilleure ambiance de travail,
- L’amélioration de l’engagement des salariés qui se traduit par un ralentissement du turnover.
Des effets négatifs sont également observés, tels que l’allongement de la durée journalière de travail et une hausse du nombre d’heures supplémentaires ou encore un décalage occasionnel de la charge de travail sur le jour de repos. Ce nouveau rythme peut aussi avoir des impacts sur la santé (perte de sommeil, fatigue…). Ce qui révèle la lourde exigence que la semaine de 4 jours institue en termes de réorganisation du travail.
La semaine de 4 jours, comment faire ?
Le principe de base du passage à la semaine de 4 jours est de proposer aux salariés de conserver le même salairequ’avec une semaine de 5 jours, mais en travaillant une journée de moins. Certaines entreprises optent pour une réduction du temps de travail, le plus souvent à 32h, mais l’essentiel privilégie une répartition différente de la durée de travail en conservant le nombre d’heures antérieur.
Comme tous les sujets qui touchent au temps de travail, il est nécessaire de le placer à l’agenda des négociations et de l’inscrire potentiellement dans le cadre des NAO, au titre de l’alinéa sur les mesures QVTEP – Qualité de Vie au Travail et d’Égalité Professionnelle – (rappelé dans l’ANI 2020). À noter qu’en signant un accord sur ce nouveau temps de travail, de nombreux accords collectifs peuvent se voir impactés (Temps partiel, CET, Dons de jours, Astreintes, Horaires variables, Télétravail…), outre la dimension contractuelle à ne pas omettre.
Plusieurs points d’attention sont à lister pour mieux appréhender le sujet dans la négociation collective : volontariat et réversibilité de la mesure, jour fixe versus jour flottant, identification des populations et postes éligibles. Mais surtout, cela nécessite une relecture profonde des modes d’organisation du travail et du management, une redéfinition des objectifs et de la charge de travail pour veiller au bien-être des salariés, mais aussi à la continuité de service et de la productivité. Comme pour le télétravail, le management doit être repensé au profit d’un pilotage par les résultats, l’autonomie et la confiance, en limitant procédures, reporting et « réunionite ».
Le passage à la semaine de 4 jours constitue le point de départ à la fois d’une organisation à réinventer et d’un changement culturel porté sur l’autonomie des salariés. De ce fait, il doit être progressif et s’inscrire dans une logique d’expérimentations, car le modèle demande un temps d’adaptation ainsi qu’une évolution des méthodes de travail ou du fonctionnement des équipes. Un pilote peut par exemple être mis en place avec des volontaires afin de mesurer les bénéfices pour les salariés et l’entreprise, mais aussi déterminer des dysfonctionnements non anticipés. À ce titre, un dialogue social de proximité est un atout pour faire remonter les incidences de ce nouveau mode d’organisation du travail.
Il est également indispensable de prévoir une commission de suivi paritaire avec plusieurs indicateurs – à titre d’exemple : le taux d’absentéisme, le turnover, l’engagement des collaborateurs au quotidien, la satisfaction client, qui ne doit pas pâtir de cette nouvelle organisation, le feedback des collaborateurs, l’incidence du choix du jour non travaillé…
Et si la semaine de 4 jours était la nouvelle solution ? Pour quoi ? Pour de nouveaux équilibres…
- Pour les salariés, entre vie personnelle et vie professionnelle,
- Pour les entreprises qui doivent gérer à la fois des cols blancs, éligibles au télétravail, et des cols bleus qui conservent les inconvénients des déplacements domicile-lieu d’activité,
- Pour les managers et leurs équipes, entre le temps consacré au travail individuel et celui en collectif. Dans certains cas, la semaine de 4 jours se conjugue avec le retrait du télétravail, sauf cas exceptionnels, afin de rétablir les collectifs de travail et éviter que l’entreprise ne devienne un lieu fantôme.
Cette innovation sociale qui se décline de façon très variée selon les organisations peut donc s’inscrire en complément du télétravail ou en alternative. Quelle que soit l’option privilégiée, elle ne peut se priver, ni d’une politique salariale efficiente (afin d’éviter le cumul d’emplois notamment), ni de dialogue social.
Maud STÉPHAN, déléguée générale de Réalités du dialogue social
[1] Les enseignements se fondent sur le Cercle d’échanges que Réalités du dialogue social a organisé sur ce thème entre ses membres, avec notamment trois d’entre-eux qui ont opté pour la semaine de 4 jours ou enclenché le processus.
[2] Association for Democracy and Sustainability – ALDA
[3] Selon Juliet Schor, une économiste et sociologue au Boston College, qui a participé aux programmes pilotes menés au Royaume-Uni et aux États-Unis.