Marie-Noëlle Lopez, co-fondatrice de Newbridges

«Mieux connaître l’Europe (…) sans le miroir déformant dont elle est victime, nous aiderait (…) à définir ce que nous voulons (d’elle) en tant que citoyens. »

Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?

En réalité, j’y suis venue par hasard. Je suis spécialiste en droit social français à l’origine. C’est une première expérience professionnelle en droit social européen qui m’a permis d’être recrutée comme journaliste pour Liaisons sociales Europe. La place du dialogue social dans la construction européenne était telle qu’on ne pouvait décemment pas prétendre suivre l’actualité sociale européenne et ne pas regarder ce qui se passait de ce côté. En même temps que je devenais plus familière des institutions communautaires et des processus d’élaboration des politiques sociales, je développais une meilleure connaissance des acteurs du dialogue social, de leurs enjeux dont celui de faire émerger une parole, une position commune dans un contexte de diversité des cultures de dialogue social et de négociation. Cela a contribué à forger ma conviction de la nécessité qu’à tous les niveaux, existent des espaces qui permettent l’expression des intérêts divergents et leur conciliation via des acteurs, des procédures, des processus qui permettent de définir conjointement des règles sur la base de compromis qui sont d’autant plus durables qu’ils s’appuient sur une répartition équilibrée des efforts et des résultats.

Y a-t-il des faits marquants, des réalisations dont vous êtes particulièrement fière  ?

Je pense surtout à mon cheminement professionnel, qui m’a amené après avoir porté mon regard sur l’Europe, à m’intéresser au reste du monde, toujours sur le même registre de la diversité des approches des relations sociales, mais aussi des niveaux transnationaux de dialogue social à développer pour répondre aux enjeux contemporains. A travers le dialogue social, on s’intéresse évidemment au processus, mais aussi aux sujets. Or, les sujets sociaux internationaux d’aujourd’hui sont passionnants. Je pense en particulier, pour ne citer que quelques exemples, aux enjeux de salaires et de travail décent et de respect des droits fondamentaux, au travail dans des contextes de plus en plus complexes, de transition juste et, plus largement, de responsabilité sociale des entreprises. Mieux comprendre et mieux appréhender cette diversité est une aide précieuse pour prendre la mesure des difficultés qu’on peut rencontrer localement sur certains sujets tout en gardant le cap de garantir le mieux possible le respect du principe ou de l’objectif qu’on se fixe.

Vous êtes membre du groupe de réflexion dédié au dialogue social européen, pourquoi est-ce important pour vous d’y participer ?

J’y participe parce que je trouve important qu’une association comme Réalités du dialogue social parle d’Europe à ses membres, et en particulier d’Europe sociale. On ne connaît jamais assez bien l’Europe et pourtant on la juge sans arrêt. Mieux connaître l’Europe, ses bénéfices, ses faiblesses, voire ses limites, sans le miroir déformant dont elle est victime, nous aiderait pourtant à définir ce que nous voulons en tant que citoyens, et pour ce qui concerne l’association, en tant qu’acteurs du monde du travail. Si nous ne définissons pas ce que nous en attendons, nous contribuons malgré tout à faire l’Europe par notre désintérêt pour elle. A titre plus personnel, je tire énormément de plaisir à travailler sur des initiatives avec des artisans, à différents niveaux de l’Europe sociale. Réfléchir au sein du groupe à quelle façon nous pouvons amener des sujets européens est un défi renouvelé à chaque fois.

Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?

Je vais rester sur mon sujet de ce monde divers dans lequel la communication n’est pas aisée. Je pense au film Babel d’Alejandro González Iñárritu, à certains moments complexe et cru, mais qui montre bien les murs qui se dressent entre les individus, les groupes, les cultures, les milieux sociaux et qui persistent, voire peuvent déboucher sur des drames, si ceux qui le peuvent ne font pas l’effort d’entendre le point de vue de l’autre.

Et pour philosopher un peu sur nos sujets – geste salutaire pour ne pas perdre la raison -, je conseille la série des courtes chroniques de Frédéric Worms sur « Quelle est la place du travail dans la vie ? », qui date de fin 2023, qu’on peut retrouver en podcast.