23 Mai Bertrand Merville, associé du cabinet La Garanderie Avocats
« Je me considère comme militant du dialogue social. »
Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?
Je suis originaire de Normandie, plus précisément de la région du Havre, un grand bassin industriel et portuaire. Pendant mes études, j’ai eu la volonté de réaliser chaque été des stages au sein de différentes entreprises implantées dans ce bassin pour découvrir le monde du travail. L’un m’a particulièrement marqué car le DRH m’avait demandé de rédiger un rapport sur l’évolution du paysage syndical de l’un de ses établissements. C’est ainsi que j’ai appris ce qu’étaient l’univers des élections professionnelles, les rapports de force mais aussi, et déjà, tout ce qu’il était possible de coconstruire par le biais du dialogue social. J’ai tout de suite adhéré à cette vision car je me sens profondément citoyen. De fait, la vie collective m’intéresse et, par prolongement, celle en entreprise à travers les relations entre la direction et les organisations syndicales. C’était donc une évidence de me spécialiser en droit social au cours de mes études, avec en parallèle la volonté depuis mes plus jeunes années de devenir avocat. Ces deux pans ont fini par converger : je suis avocat spécialisé en droit du travail depuis plus de 20 ans.
Quel regard portez-vous sur le dialogue social depuis le début de la crise sanitaire provoquée par la pandémie de covid-19 ? Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir et quelles seraient les pratiques à conserver ?
Avec la pandémie, il me semble que les entreprises qui avaient un faible niveau de dialogue social en amont ont compris l’intérêt et la nécessité de ce dernier. Le dialogue social est apparu comme un outil précieux pour aider à traverser la crise, tel, par exemple, que les accords conclus pour gérer la durée du travail, les congés payés, l’activité partielle, le télétravail ou encore pour prendre en compte les questions de santé, de sécurité et de conditions de travail des salariés. Cette crise constitue un révélateur de l’importance des relations collectives en entreprise. De même, très souvent, il a été constaté une plus grande proximité entre les acteurs sociaux, ce qui a favorisé une bonne articulation de préoccupations pourtant différentes. La multiplicité des échanges, à partir d’une contrainte commune – la crise – a constitué un atout pour gérer les enjeux en découlant. Ce serait formidable que ces pratiques perdurent ; malheureusement, j’ai l’impression qu’il y a parfois une propension à oublier cette période et quelques pratiques antérieures refont surface.
Par ailleurs, cette phase a probablement confirmé qu’il est préférable pour l’entreprise d’avoir des représentants du personnel en contact avec le terrain. Il faut souhaiter que les élus arrivent à trouver le bon équilibre entre l’expertise et la proximité. On peut observer, dans certaines structures, un scepticisme de la part des salariés vis-à-vis des élus, les considérant en effet comme déconnectés de leur quotidien du fait d’un cumul de mandat dans le nombre et la durée. Mais, de l’autre côté, ces élus doivent composer avec des injonctions – légales ou internes – qui leur demandent d’être des experts sur un nombre croissant de sujets (harcèlement, orientations économiques, bientôt l’environnement…). Il n’est sans doute pas excessif de penser que cette crise remet en avant la question du statut de l’élu du personnel.
Vous êtes adhérent de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
En tant que juriste spécialisé, j’ai la conviction qu’il est possible d’aller très loin avec le dialogue social, notamment depuis les ordonnances Macron de 2017 qui permettent de signer des accords adaptés à la réalité de la société, à ses enjeux conjoncturels et structurels. Le dialogue social est un outil remarquable à la disposition des entreprises pour leur permettre de gérer la transition sociale – ce qui englobe les nouvelles attentes et les nouveaux comportements des salariés présents ou que l’on souhaite recruter – tout en maintenant la performance de l’entreprise. C’est pourquoi à ma modeste place, je me considère comme militant du dialogue social. Dès lors, c’était naturel de rejoindre l’Association Réalités du dialogue social qui, avec ses 30 ans d’expérience sur le sujet, est à mes yeux une institution, qui favorise en outre les rencontres, les échanges et les idées nouvelles. Actuellement, je m’investis particulièrement dans le groupe de travail sur le dialogue social et la transition écologique.
Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?
Un roman, inspiré de faits authentiques : Les Quais de la colère de Philippe Huet.
Et pas seulement parce que cela se déroule dans ma région d’origine.
Ce livre raconte, à l’aube du 20ème siècle, l’histoire de Jules Durand, un homme très humaniste, rigoureux et déterminé à obtenir de meilleures conditions de travail pour les ouvriers charbonniers alors considérés comme la lie du port, sales et ivrognes. Il a repris en main leur syndicat et en est devenu le secrétaire général. Or, suite à une rixe entre grévistes et non-grévistes, un contremaitre va décéder et Jules Durand se retrouver sur le banc des accusés.
Cette histoire est parfois appelée « l’affaire Dreyfus du monde ouvrier ».
Il me semble que je prends peu de risques à recommander ce récit qui plaira aux amateurs d’histoire, de justice, et de relations collectives dans le monde du travail.