Briefing Note : dialogue social européen et Covid-19

La mise en veille de nombreux secteurs de l’économie pendant le confinement se solde par l’une des pires crises économiques et sociales de ces dernières années, avec une chute annoncée de 9 % du PIB de la zone euro en 2020 et un quasi-doublement du taux de chômage. Les institutions et gouvernements européens semblent cette fois avoir abandonné l’austérité en faveur de mesures extraordinaires (dette publique commune, chômage partiel, investissements publics…) pour soutenir le tissu économique, les entreprises et les travailleurs de l’UE.

Cette crise représente aussi une opportunité pour rappeler l’importance du dialogue social et la capacité des partenaires sociaux à négocier et rechercher des compromis, à tous les niveaux. Or, la moitié des mesures anti-covid en Europe recensées par Eurofound auraient été adoptées sans accord, ni implication des partenaires sociaux. En revanche, l’agence européenne souligne que la négociation collective au niveau de l’entreprise joue un rôle primordial, en particulier dans la gestion du chômage partiel.

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16/09/2020. Rencontre avec Isabelle Barthès, secrétaire générale adjointe d’IndustriALL Europe et Isabel Sobrino Maté, conseillère politique au sein du CEEMET

La métallurgie fait partie des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, économique, sociale provoquée par la pandémie, notamment certaines de ses branches qui connaissaient déjà quelques difficultés en 2019 (comme l’automobile et la production de métaux) ou celles qui dépendent largement de la mobilité (comme par exemple, le secteur aérospatial). De plus, les entreprises de ces filières sont généralement de grandes multinationales dotées de chaînes d’approvisionnement complexes, constituées de nombreuses PME et avec des établissements dans différents pays. Par exemple, le domaine aérospatial constitue la source directe de plus de 800.000 emplois en Europe et sa survie est strictement liée à celle des compagnies aériennes. Les experts considèrent que le nombre de vols retournera aux niveaux d’avant la crise seulement dans cinq ans. Dans ce cadre, Airbus a déjà constaté une forte réduction des commandes d’avions et annoncé des suppressions d’emplois massives. De même, Boeing a annoncé son intention de réduire de 10% ses effectifs actuels. Le secteur automobile n’est pas non plus en bonne santé. Selon ACEA, l’organisation patronale représentant les constructeurs automobiles, plus d’un million d’emplois sont menacés (encore plus si l’on considère la chaîne des fournisseurs) ; l’Allemagne, la France et l’Italie étant les pays les plus touchés. L’industrie sidérurgique, qui avait déjà enregistré une très forte baisse de sa production en 2019, a encore connu une contraction au cours du premier trimestre de 2020. Cela serait l’effet de la baisse de la demande suite à l’arrêt de la production de secteurs tels que l’aérospatiale et la construction. Cette situation contribue alors à creuser davantage l’écart avec les concurrents chinois.

Les partenaires sociaux européens sectoriels, Ceemet et IndustriAll Europe, sont parvenus à une déclaration commune saluant positivement les mesures de soutien prises par l’UE jusqu’à présent (comme les nouvelles lignes de crédit du MES ou le SURE), mais ils estiment que ces réponses ne sont suffisantes que comme formes de soulagement temporaire. Leur déclaration souligne que le secteur industriel européen a besoin d’investissements plus robustes et plus rapides pour soutenir la reprise et, surtout, d’une vraie politique industrielle à l’échelle de l’UE pour dessiner ensemble et de façon coordonnée le lendemain de la crise. Ceemet et IndustriAll Europe ont également remarqué l’importance primordiale du dialogue social et de la négociation collective pour gérer la crise. Ils ont tenu à rappeler que les partenaires sociaux ont intensifié leur coopération et ont négocié de nombreux accords proposant des solutions innovantes qui ont permis de reprendre la production et de sauvegarder l’emploi et les revenus tout en offrant un environnement de travail sûr. Dans cette perspective, ils demandent que le dialogue social tripartite et bipartite ainsi que les négociations collectives demeurent la boussole pour la mise en œuvre du plan de relance.

En France, l’UIMM, la CFDT, FO et la CFE-CGC ont récemment présenté une proposition de plan de relance visant à mobiliser les investissements (notamment vers la décarbonisation et la digitalisation de la production industrielle ainsi que pour faciliter la relocalisation et l’expansion des activités industrielles), renforcer la coopération entre les entreprises et définir des programmes de formation des salariés plus adaptés aux nouveaux défis.

Ce qui est probablement le point le plus intéressant est le fait que les partenaires sociaux nationaux – comme ceux du niveau européen – assument la responsabilité de jouer le rôle des protagonistes de la relance et du renforcement du secteur industriel dans les années à venir, en l’accompagnant vers une transition verte et numérique.

 

23/09/2020. Rencontre avec avec Christian Verschueren, directeur général d’EuroCommerce et Fabrice Warneck, directeur du bureau Bruxellois de Syndex

La pandémie de la covid-19 a des effets variés sur le secteur du commerce. Les professionnels centrés sur les biens essentiels ont dû vite s’adapter aux consignes sanitaires pour assurer l’approvisionnement des ménages alors que d’autres – surtout le retail – ont connu un arrêt net de leur activité. Seule exception : le commerce en ligne qui, biens essentiels ou pas, a dû s’adapter à la situation, voire à un net coup d’accélérateur. Revue de détail :

  • Durant le pic de la pandémie, les marchands de produits alimentaires et d’autres produits essentiels ont dû faire face à une augmentation soudaine de la demande, tandis que les fournisseurs et les entreprises de logistique étaient fermés ou avaient des difficultés à suivre le rythme de commandes. Les magasins restés ouverts ont alors engagé des coûts supplémentaires pour assurer la sécurité du personnel et des clients ou encore ont dû trouver des sources alternatives d’approvisionnement là où il y avait des perturbations – comme, par exemple, la fermeture de frontières internes de l’UE causé par un manque total de coordination entre les pays membres.
  • De leur côté, les magasins non alimentaires ont majoritairement été fermés sur ordre public ou ont subi des fortes baisses de fréquentation et de chiffre d’affaires pouvant atteindre 90% en raison de mesures de santé publique. Les fournisseurs de la restauration et de l’hôtellerie, en grande partie fermé, ont vu leurs ventes chuter à presque zéro[1].
  • Le scénario pour le commerce en ligne – qui avait déjà connu une hausse de 14,2% en 2019 (pour un chiffre d’affaires global de 636 milliards d’euros) – a été tout autre. Les estimations tablent sur une augmentation du 12,7% en 2020 (717 milliards d’euros). Toutefois, les experts considèrent qu’un retournement des effets pourraient se manifestera à partir de 2021[2].

Au total, ce sont 29 millions de travailleurs en Europe qui ont dû s’adapter à des situations contrastées. Compte tenu de cette particularité, les partenaires sociaux européens ont rapidement opté pour des consignes visant à assurer des conditions de travail sûres et, en même temps, à préparer le futur du secteur à travers l’accompagnement des entreprises au commerce en ligne et le développement des compétences digitales des travailleurs

Car la pandémie a donné un nouvel et plus fort élan vers la transition digitale, autant dans la façon de travailler que dans les modalités du commerce. Or, selon les estimations de la Commission Européenne, actuellement 2 Européens sur 5 manquent de toute culture numérique et d’énormes inégalités subsistent quant à l’accès à la connexion internet entre zones urbaines et rurales[3]. Les partenaires sociaux européens demandent d’investir massivement pour améliorer les compétences numériques des Européens. Selon Uni Europa, la fédération syndicale européenne qui représente les travailleurs des services, et Eurocommerce, l’organisation patronale sectorielle, il serait en effet primordial de consacrer des ressources à la formation numérique des travailleurs du secteur ainsi qu’au soutien et à la promotion du commerce en ligne auprès des entreprises de commerce et de distribution, surtout les PME.

Dans leur déclaration commune, Uni Europa et Eurocommerce, revendiquent aussi le rôle du dialogue social dans la gestion de la crise. Sans attendre, les deux organisations s’étaient effectivement mobilisées pour garantir l’application de plus strictes consignes sanitaires dans les activités commerciales afin d’assurer la sécurité des travailleurs mais aussi que ces derniers soient reconnus comme travailleurs de première ligne ayant un accès prioritaire, par exemple, aux services publics de garde d’enfant. Au niveau mondial, Uni Global a signé un accord avec les groupes Auchan et Carrefour afin d’assurer les mêmes mesures de santé et sécurité au travail partout dans le monde.

Enfin, il semble important de signaler que Uni Europa et Eurocommerce demandent la participation des partenaires sociaux dans la définition des plans nationaux de relance afin d’assurer le soutien nécessaire à leur branche, composée par la plupart de PME.

[1] Source : Eurocommerce, « Retail vital to European Recovery, but needs help – investments and the right policies”, 15 septembre 2020.

[2] E-Commerce Europe and Eurocommerce, Europe 2020 E-Commerce Region Report,

[3] Source : Commission Européenne, 2020 Strategic Foresight Report, publié le 9 septembre 2020.

 

30/09/2020. Rencontre avec avec Gilda Amorosi, conseillère Politiques énergétiques, climatique et développement durable d’Eurelectric et Guillaume Durivaux, conseiller Utilities et Comités d’entreprise européens d’EPSU

La crise liée à la Covid-19 s’est traduite par un effet ciseau sur le secteur de l’énergie : contraction de la demande d’énergie face à une production de renouvelable en croissance. Eurelectric – l’organisation patronale qui rassemble les entreprises du secteur au niveau européen – craint que cette évolution compromette les investissements prévus en raison de leur impact sur les finances publiques. Elle souligne, de plus, que les mesures de distanciation physique ont engendré le report à l’hiver des travaux de maintenance des réseaux et des infrastructures, ce qui peut provoquer des incidents dans le fonctionnement du système. À noter aussi que dans certains pays, les délais de paiements accordés aux usagers ont engendré des difficultés de trésorerie pour les entreprises du secteur et leurs fournisseurs, ralentissant ainsi des investissements pour des projets clés.

Pendant la crise sanitaire, les entreprises de l’énergie et leurs travailleurs se sont trouvés en première ligne. Garantir le bon fonctionnement des infrastructures électriques était primordial pour la continuité des services. Ces entreprises et leur interlocuteurs syndicaux ont alors conclu des accords visant à créer des nouveaux outils de gestion RH tout en assurant la santé des travailleurs des services essentiels et un large recours au télétravail. Une des bonnes pratiques est représentée par la convention d’entreprise signée par la société italienne ENEL qui a réussi à concilier continuité de service, sauvegarde de l’emploi et des compétences ainsi que solidarité entre les employés. Néanmoins, la situation n’a pas été gérée de la même façon dans tous les pays. En effet, en plein milieu de la période de risques sanitaires, la fédération syndicale européenne EPSU a dénoncé, dans certains pays de l’UE, le fait que les travailleurs continuaient à opérer sans protections adéquates.

Autre préoccupation des partenaires sociaux européens : éviter que cette crise ne freine la transformation verte et digitale du secteur électrique. A cette fin, ils se sont mobilisés en appelant les institutions et les gouvernements de l’UE à mettre en place d’importants investissements pour une transition juste, vers une économie décarbonée. En particulier, ils demandent d’intégrer pleinement les objectifs du Green Deal dans le plan européen de relance économique et d’accélérer les investissements dans l’efficacité énergétique et le chauffage renouvelable.

En même temps, ils se sont accordés sur un cadre d’action pour accompagner les entreprises et les travailleurs dans ces démarches. Ils partagent le point de vue selon lequel le digital est une opportunité pleine de défis pour stimuler l’innovation et promouvoir des technologies intelligentes. Ce processus n’affectera pas seulement la communication et la connectivité mais également les profils d’emplois et la nature des compétences requises. A cette fin, les partenaires sociaux européens sont convenus d’établir des lignes directrices pour une transition numérique socialement responsable et de garantir, d’un côté, l’accès et la formation des apprentis et, d’un autre, des parcours de mise à niveau des compétences ainsi que des requalifications.