03 Avr « Il existe des verrous au dialogue mais rien d’insurmontable si nous apprenons à nous écouter et à discuter »
À l’issue de son Assemblée générale le 3 avril 2023, l’Association Réalités du dialogue social a reçu Hervé Lanouzière, directeur de l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP), et Richard Werly, reporter France et affaires européennes pour le média suisse Blick, pour une conversation sur les fractures sociales et sociétales et leur vision du dialogue.
Regards croisés
Vérité, loyauté et confiance, trois notions clés du dialogue
Les deux intervenants ont évoqué un certain nombre d’éléments qui, selon eux, sont indispensables pour établir un dialogue social efficient.
La notion de vérité.
La réforme des retraites en fournit le contre-exemple parfait. Selon Richard Werly, un des problèmes fondamentaux est le déficit de vérité quant aux raisons de ce passage de 62 à 64 ans : « la vérité, elle est très simple : ce sont les marchés financiers et les taux d’intérêt qui motivent cette réforme ». De fait, un défaut d’information quant aux réels tenants et aboutissants dans le dialogue social conduit nécessairement à des tensions, des rejets et l’instauration d’une défiance. « Quand il n’est pas mis sur la table la vraie raison de l’empressement et de l’entêtement, on se plante ». Richard Werly en profite pour évoquer l’incompréhension côté suisse où cette question du passage de l’âge de la retraite à 65 ans a été soumise à un référendum, donc avec des méthodes totalement différentes de celles utilisées en France.
La notion de loyauté.
Hervé Lanouzière la place en parallèle de celle de la vérité. Selon lui, les bases d’un dialogue sont claires si la loyauté en est un fondement ; « la loyauté n’est ni plus, ni moins, que de se dire les choses dès le début ». Il met en avant que chaque partie prenante au dialogue défend ses propres intérêts mais cela ne doit pas être un frein, au contraire. Tant que les objets de la discussion ne portent pas sur des différends irréconciliables, « tant que nous ne sommes pas sur des conflits de valeurs, nous pouvons négocier ». Il considère aussi comme indispensable que les acteurs du dialogue fassent preuve de pugnacité.
La notion de confiance.
Une fois les exigences de vérité et de loyauté posées, le terrain est propice à la confiance. Hervé Lanouzière rappelle qu’un dialogue se construit via des valeurs communes partagées comme la sincérité par exemple. Le facteur « temps » lui semble essentiel pour générer de la confiance. Cependant, les différents acteurs qui participent au dialogue et à la négociation ont leurs propres agendas, ce qui complique leur capacité à trouver le temps d’installer cette confiance et ce climat de dialogue.
Temps, apprentissage et innovation, trois défis à relever
Hervé Lanouzière met en avant la difficulté des « conflits de temporalité, notamment entre l’agenda politique et l’agenda socio-économique ». Richard Werly abonde en son sens en précisant « l’accélération du temps » qui tient pour beaucoup à la combinaison, en France, du « système télévisuel d’informations en continu » et des « réseaux sociaux ».
Autres freins au dialogue : le défaut d’apprentissage des outils et postures utiles à la négociation ainsi que l’absence d’accompagnement des acteurs tant sur le fond des sujets, que sur les modalités de déroulement de ce processus. Pour exemple, Hervé Lanouzière évoque sa méthodologie de négociation : « je ne conçois jamais un plan d’actions sans connaître les mesures à prendre à court terme et celles à moyen et long terme ». En effet, savoir suivre les « cycles de vie dans l’entreprise » nécessite d’en avoir conscience, d’être ancré dans la réalité du terrain. Les intervenants soulignent que la déconnexion de certains avec le terrain, la localité, est préjudiciable à la négociation, car c’est cela revient à vouloir extraire un sujet de son contexte global. « Mais cela n’est pas toujours, ni possible, ni salvateur ».
Enfin, l’absence de prise de risques et d’innovation dans le dialogue et la négociation constitue un obstacle plus discret mais handicapant. Hervé Lanouzière explique que la prise de risques est facilitée par la persévérance, et dès lors que « les partenaires sociaux sont formés, outillés et ont appris à travailler ensemble ». L’absence de préparation est un frein mais « essayer et prendre des initiatives permet d’apprendre, sur le tas ».
L’enseignement des situations d’urgence à faire perdurer
Les deux intervenants s’accordent sur le fait qu’un dialogue social passe par un dialogue ancré dans la réalité et la temporalité de l’entreprise. Ils partagent aussi l’idée que malgré la culture dans laquelle s’inscrivent les acteurs, les freins sont connus tout comme les notions clés à mobiliser pour faire aboutir une négociation ou un échange. Le corpus législatif français peut être appréhendé comme une contrainte mais il énonce essentiellement des bases qui serviront aux discussions entre les acteurs sociaux. « Les textes offrent aussi des possibilités de souplesse et d’originalité, si nous choisissons de nous en saisir ». Hervé Lanouzière réaffirme l’importance de l’apprentissage du dialogue social pour y parvenir.
Les intervenants rappellent aussi que chacun doit accepter de prendre des risques et de faire des compromis. Certes, la France porte le poids de longues années de traditions de luttes mais, comme le souligne Richard Werly, pendant les années 1940, elle fut capable de prouver que mêmes dans des situations désespérées, elle avait su saisir les minces opportunités existantes pour palier ce qui ne fonctionnait plus.
Comme le questionnait un participant, cela n’est-il possible que lors de situations d’urgence ? Hervé Lanouzière et Richard Werly restent convaincus et optimistes sur le fait que cela est aussi envisageable hors de situations exceptionnelles. Mais, cela demande d’œuvrer pour.