17 Avr Laura Derridj, avocate au barreau de Paris
« Le dialogue, c’est la démocratie au sens grec du terme »
Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?
Responsable de service juridique en collectivité territoriale, devant assister aux assemblées délibérantes dont les séances sont publiques, j’ai été témoin de nombreux débats entre leurs membres, représentants des administrés, aux origines sociales et situations professionnelles variées, avec des sensibilités et des convictions différentes. J’ai été frappée par ces échanges, parfois « violents » dans le ton. Après un Conseil, de temps en temps des projets et des délibérations étaient retravaillés. Mais, le plus souvent, ces décisions, en dépit de discussions houleuses et, j’aime le croire, dans un esprit de consensus, étaient votées et les oppositions alors amenées à expliquer publiquement leurs votes.
L’expérience du dialogue sous forme de médiation, je l’ai aussi acquise, toujours dans mon rôle de juriste, au contact de mineurs délinquants. J’ai, en effet, participé à des rencontres visant à parvenir à un accord entre la collectivité victime de dégradations que je représentais et leur(s) auteur(s) mineur(s) assisté(s) et ce, sous l’égide du procureur de la République local.
Enfin, en tant qu’avocate en droit public, j’ai été appelée à assurer des formations en droit syndical de la fonction publique qui sont devenues, avec l’évolution des textes et la consécration de la négociation, de la loi du 5 juillet 2010 à l’ordonnance du 17 février 2021, des sessions sur le dialogue social au sens large. Cela étant, en intervenant auprès d’organismes publics très divers, je constate qu’il reste du travail pour que la culture d’un dialogue social rénové et constructif infuse.
Quel regard portez-vous sur le dialogue social et sur son rôle dans la gestion des crises diverses (sanitaire, géopolitique, économique…) ? Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir ?
J’ai le sentiment qu’à quelques exceptions près, que je félicite et qui vont en augmentant, dialogue social signifie encore couramment « confrontation », « blocs », « postures », « lourdeur » et perte de temps. Les acteurs qui y participent ne sont pas toujours « préparés et formés » pour ou le sont insuffisamment. De plus, vous en conviendrez, on observe un certain désintérêt des agents pour l’action syndicale (« à quoi bon ? ») et les syndicats. Le recul tendanciel, une nouvelle fois confirmé en décembre 2022, du taux de participation aux élections professionnelles en atteste. Par ailleurs, de façon assez générale, le dialogue m’apparaît descendant. En période compliquée, la concertation est quasiment zappée, sous prétexte de devoir aller vite. Il est, je pense, urgent de changer de culture et d’état d’esprit, ce qui passe par une sensibilisation au dialogue dès l’école et un développement des négociations « gagnant/gagnant ».
Vous êtes adhérente de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
D’abord, j’aimerais préciser que c’est grâce à Jean-Paul GUILLOT, son ancien président, que j’ai connu Réalités du dialogue social. Il m’en a fait la présentation, m’a appelée à intervenir à ses côtés pour sensibiliser les « élites » (l’ENA) au dialogue social et à l’émergence de la négociation dans le droit « statutaire ».
Ensuite, je rappellerais que « dialogue » a pour étymologie grecque dia, qui signifie « à travers », « entre », et logos qui désigne la « parole », le « discours » : c’est donc la démocratie au sens grec du terme ; c’est réfléchir et décider ensemble pour le bien de la société. Pour moi, c’est essentiel. Mon grand-oncle a été avocat, président du Sénat pendant 22 ans puis membre du Conseil constitutionnel et il m’a appris l’écoute, l’ouverture d’esprit, la curiosité, la tempérance, à prendre le temps de la réflexion …. que dialoguer peut participer à convaincre et enrichir : c’est tout cela que je souhaite encourager au travers de l’Association Réalités du dialogue social.
Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?
Je citerais deux films récents – « The Son » et « The Whale » – qui mettent en scène un jeune suicidaire, dans l’un, un professeur de littérature qui a sombré dans la boulimie, dans l’autre. Deux personnes, en mal-être total, qui ne dialoguent plus réellement, qui se sont coupées de la société et ce, de manière malheureusement définitive dans les deux cas.
Côté livres, j’apprécie, en ce moment, l’auteur Kent Haruf qui exprime des sentiments réels, certains très forts, avec des descriptions rapides, fines, précises et sans jugement. Ses histoires racontent le besoin de dialoguer, de ne pas être seul, d’être ensemble.