22 Mai « L’évolution de nos modes de vie vers une sobriété choisie, possible et désirable est indispensable, elle est même vitale »
Dans la continuité de la Semaine du dialogue social en régions en novembre 2022, la délégation Hauts-de-France de Réalités du dialogue social s’est de nouveau intéressée aux prérogatives des Comités Sociaux Économiques en explorant la question de la sobriété et de la transition écologique. Le 22 mai 2023, elle a ainsi invité Albert Ritzenthaler, président du groupe CFDT au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteur de l’avis « Quelles politiques pour favoriser l’évolution de la société vers la sobriété ? » et Fabien Gérard, Responsable des affaires sociales de la Caisse d’Epargne Hauts-de-France à fournir leur éclairage et lancer le débat.
La sobriété, une question plus vaste que celle de l’énergie
La saisine du CESE sur la sobriété date d’octobre 2022 alors que s’esquissaient des risques de pénurie énergétique. En terme de méthode, une enquête a été diffusée à laquelle 5 200 participants ont répondu. 50 d’entre eux ont été tirés au sort pour venir au CESE et contribuer aux discussions. Celles-ci se sont concentrées au-départ sur la définition de cette notion de sobriété. « Est-ce une affaire de politiques publiques, de comportement ? » ; Albert Ritzenthaler précise que « c’est un problème de choix de société et non une question conjoncturelle ». Parler de sobriété revient à interroger les modes de vie, tant collectifs qu’individuels, personnels que professionnels puisque les difficultés dépassent la seule question de l’énergie pour intégrer les menaces sur la biodiversité et les ressources en eau. Pour Albert Ritzenthaler : « l’évolution de nos modes de vie vers une sobriété choisie, possible et désirable est indispensable, elle est même vitale ». Le CESE retient ainsi la définition suivante de la sobriété validée par toutes ses composantes (représentants des salariés, entreprises, associations, jeunes, professions libérales…) : « un ensemble de mesures, d’organisations collectives et de pratiques du quotidien qui évitent et réduisent la demande en énergie, matériaux, sol et eau tout en assurant le bien-être pour tous dans les limites planétaires ».
Une autre conviction est ressortie des échanges au sein de la troisième assemblée constitutionnelle de la République, à savoir que « la sobriété juste est une condition sine qua non de la mise en œuvre des politiques publiques ». Le rapporteur de l’avis appelle à promouvoir le sujet dans le débat public pour une transition « juste » en mobilisant tous les acteurs, les politiques publiques ne devant pas se limiter à de simples mesures compensatoires : « Si la notion de justice sociale n’est pas apparente c’est peine perdue ».
Un troisième axe qui a fait débat lors des séances du CESE était d’agir sur l’offre autant que sur la demande, notamment via la publicité. La sobriété doit s’entendre comme une « croissance de service », une « croissance de bien-être » et non une « décroissance économique » ; il faut pour le CESE renforcer les espaces de dialogue social et les moyens en temps, en formation et en expertise et « faire entrer la sobriété dans les critères d’attribution des aides aux entreprises ».
Albert Ritzenthaler insiste également sur l’acculturation nécessaire à ce nouveau paradigme de la sobriété : « tout cela ne fonctionne que si nous la plaçons dans les démarches citoyennes car nous ne pouvons pas attendre de la science toutes les solutions ».
C’est un défi culturel qu’il va falloir porter dès l’éducation des plus jeunes. Pour sensibiliser à la transition énergétique, le CESE considère qu’il faut utiliser les enjeux de l’alimentation pour les enfants. C’est la raison pour laquelle l’exigence de sobriété et la mise en œuvre des plans dépassent le seul périmètre des entreprises ou des administrations publiques. Albert Ritzenthaler préconise pour promouvoir la sobriété dans le débat public, de solliciter toutes les instances, y compris les conseils de développement, et mettre en place des projets de sobriété territoriaux. La sobriété implique une action des individus mais également de la collectivité dans son ensemble, ce qui questionne la place de l’entreprise dans le tissu local.
Focus sur 5 préconisations
Début 2023, le CESE a détaillé le résultat de ses travaux au travers de 19 préconisations parmi lesquelles des pistes se dessinent sur la place du dialogue social et la diversité des acteurs à mobiliser.
PRÉCONISATION #8
Programmer les évolutions, moyens et mesures, visant à former et à accompagner les entreprises vers la sobriété, dans le cadre d’un dialogue multipartite interbranche, au niveau national comme au niveau territorial.
PRÉCONISATION #9
Impliquer toutes les parties prenantes dans les entreprises et les administrations en privilégiant un dialogue social de proximité, en renforçant les moyens en temps, en expertise et en formation, en cohérence avec la loi climat et résilience, de l’ensemble des acteurs de l’entreprise à tous les échelons de gouvernance et des instances représentatives du personnel (IRP) sur les conséquences environnementales des décisions de l’entreprise vers plus de sobriété et en s’appuyant sur la RSE/RSO.
PRÉCONISATION #10
Développer des outils au sein des entreprises : pour inciter au suivi de critères non financiers dans les PME, utiliser des référentiels stabilisés aux critères simples et vérifiables afin de mieux évaluer les activités selon leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux ; dans l’objectif de mettre en œuvre une comptabilité environnementale, prendre en compte la sobriété dans les rapports d’activité et intégrer la sobriété dans les critères d’attribution sur les aides aux entreprises relatives à la transition écologique en tenant compte de la taille de celles-ci.
PRÉCONISATION #11
Adopter, renforcer et évaluer les démarches de sobriété (évitement et réduction de la demande, normalisation, éco-conception, relocalisations, économie circulaire, économie de la fonctionnalité, location, réparabilité, réemploi, circuits courts, pilotage numérique). Intégrer pleinement toutes les composantes de la chaine de valeur dans la politique de sobriété, dont la logistique et le numérique.
PRÉCONISATION #16
Inciter les parties prenantes à négocier des accords sur l’organisation du travail, dont le temps de travail, le télétravail, les plans de mobilités et en prenant en compte l’expertise issue des bureaux des temps, dans le cadre du dialogue social au niveau pertinent.
Le rôle des partenaires sociaux pour distiller la sobriété au sein de la société
Les plans de sobriété imposés face au risque de pénurie énergétique auraient pu constituer l’élément déclencheur de la négociation collective sur la transition écologique, comme, fut un temps, la pandémie avait accéléré la conclusion d’accords télétravail. Il n’en est rien. Les plans ont a minima fait l’objet d’information ou de consultation en CSE. Pour autant, l’absence de consultation sur les conséquences environnementales d’une réorganisation, comme un déménagement par exemple, commence à être portée au contentieux.
Pour Fabien Gérard, responsable du département des affaires sociales de la Caisse d’Épargne Hauts-de-France composée de 3 000 collaborateurs, le rôle des partenaires sociaux et la place des CSE dans la prise en main de ces enjeux dépendent de la culture d’entreprise, du secteur d’activité, de la sensibilité des dirigeants mais aussi des représentants du personnel ou encore des moyens économiques de l’entreprise.
Le juriste souligne qu’au sein de leur structure, « il n’y a pas de commission environnement et la loi Climat et Résilience[1] n’en a pas fait une obligation » ce qu’il regrette. Il émet une réserve sur l’empilement des commissions car « si nous voulons en faire un enjeu obligatoire, il faut revoir les priorités des commissions ». En revanche, il considère que la Loi aurait dû contraindre aux formations sur les sujets écologiques : « la formation n’est pas une option mais un devoir. Nous constatons aujourd’hui davantage une dynamique d’information que de formation ».
Sur le rôle environnemental des CSE, ouvert par la loi Climat et résilience concernant toutes les entreprises d’au moins 50 salariés, il intègre l’incidence environnementale aux consultations récurrentes mais aussi ponctuelles[2]. Selon Fabien Gérard, « il n’y a pas eu de révolution avec le CSE depuis la loi climat et résilience mais une évolution et l’acteur principal est l’organisation syndicale pour négocier les dispositifs ». S’agissant des plans de sobriété, le CSE reste dans son rôle d’info-consultation. « Dans le cadre de nos échanges avec les représentants des salariés, le CSE et la CCSCT, nous avons fait évoluer les projets de rénovation d’agences que nous présentons puisqu’ils nous ont demandé de faire un focus énergétique avant et après travaux ».
Un sujet traité dans la négociation collective « traditionnelle »
Un constat partagé se dessine quant à la faible négociation d’entreprise sur le sujet de la transition écologique, en tant que tel ; ce dernier se retrouve intégré dans d’autres thèmes comme le temps de travail, le télétravail ou la mobilité ainsi que dans des accords sur l’aménagement du temps de travail, la consommation d’énergie et le partage de la valeur. Fabien Gérard l’explique parfaitement : « la transition écologique n’est pas native. Entamer une négociation globale sur ce sujet demanderait du temps car les acteurs ne le maîtrisent pas. Les représentants des salariés n’ont pas la compétence, ni nécessairement l’appétence ».
Dans chacune des négociations, il y a des dispositifs qui tournent autour de la transition écologique. À la Caisse d’Épargne Hauts-de-France, chaque année, les organisations syndicales expriment des revendications sur les mobilités durables.[3] Sont négociées des primes annuelles pour l’usage de véhicules propres ou l’achat de vélos. Fabien Gérard indique qu’un des moyens d’embarquer les collaborateurs est le partage de la valeur et précise que traditionnellement l’accord d’intéressement se base sur des indicateurs financiers : « aujourd’hui, ces derniers représentent 40 % du calcul et l’indicateur développement durable pèse pour 25 % ».
En résumé, nous n’en sommes qu’au début de l’histoire, toujours dans le passage d’une phase de conscientisation à celle de l’outillage : une BDESE, des prérogatives environnementales pour les CSE[4]… Dans certaines entreprises, s’amorcent des diagnostics, un dialogue pour s’accorder sur les indicateurs, les objectifs comme outils de négociation. Par ailleurs, l’accord national interprofessionnel sur la transition écologique et le dialogue social[5] identifie l’ensemble des leviers existants pour actionner la transition écologique juste de manière opérationnelle.
Des échanges avec les invités de Réalités du dialogue social sont ressortis l’importance de faire gagner en visibilité ces sujets et la nécessaire montée en puissance des enjeux de la transition écologique. Le défi du dialogue social est également de participer à l’élaboration d’un futur désirable dans un contexte anxiogène pour que des initiatives, comme la fresque du climat, soient suivies de projets et que les désaccords soient actés afin d’éviter un blocage qui serait préjudiciable à tous.
Auparavant, les inquiétudes portaient sur le risque de pertes d’emplois ; aujourd’hui, ce sont les transformations des emplois et des conditions de travail qui posent question, avec des conséquences sur la santé du travailleur. Un autre avis du CESE sur « Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? » d’avril 2023 recommande « d’agir vite et de décloisonner le sujet santé en le pensant à un niveau global ».
[1] Loi climat et résilience du 22 août 2021
[2] BUGADA Alexis, Travail, emploi et transition écologique, Quels principes d’action pour les collectivités de travail ? dans Chroniques du travail, p. 67
[3] Loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019
[4] L. 2312-17 à 22 CT (info consultation sur conséquences environnementales)
L. 2312-8 CT (marché générale de l’entreprise)
L. 2315-87-1 à 89 CT (expertises)
L. 2232-12 CT et L. 222-3 Code de la fonction publique (commission environnement)
L. 2242-1 à 9 et 20 CT (négociations annuelles)
L. 2312-78 à 84 CT
[5] ANI du 11 avril 2023 en cours de signature