15 Oct Stéphane Magnan, président du think tank Planète social
Le dialogue social est, avec la compétitivité, un des piliers du développement de l’entreprise.
Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?
Après un doctorat en sciences économiques et des études à Centrale, j’ai intégré le milieu de la recherche en mathématiques. J’ai trouvé ce domaine peu chaleureux et trop individualiste, et je l’ai rapidement quitté. J’ai été embauché par une filiale de Péchiney, une fonderie d’aluminium. J’y ai travaillé dans un atelier de mécanique et j’ai été enthousiasmé par les contacts et les relations humaines. Je me suis aperçu que les personnes venaient spontanément vers moi pour me raconter leurs problèmes professionnels ou personnels. Devenu assez rapidement directeur de cette usine, j’ai toujours privilégié la mise en avant des collaborateurs et l’écoute. A ce moment, il n’y avait pas encore de tensions dans le domaine de l’emploi et je suis parti travailler aux Etats-Unis. Mais, une grosse crise est arrivée au début des années 80 et les usines de Pechiney qui sous-traitaient pour l’automobile ont vécu des situations très difficiles. Pechiney m’a demandé de revenir pour fermer cette fonderie. J’ai alors constaté que la technologie de cette société allait permettre non pas une fermeture mais au contraire une expansion de l’entreprise avec le développement des moteurs en aluminium pour l’automobile. J’ai donc refusé de fermer. Malgré cela, je me suis retrouvé confronté à des usines tétanisées, en plein drame social, et face à des licenciements importants… La seule voie que j’ai trouvée a été de réconcilier l’intérêt de chacun avec l’intérêt à long terme de l’entreprise. Pour cela, il n’y avait qu’une solution : le dialogue social, dans toutes ses composantes. J’avais 31 ans à l’époque. Par la suite, j’ai toujours continué de cette manière. Nous avons ainsi bâti un groupe de 3500 salariés, dont la colonne vertébrale a été le dialogue, avec des processus concrets et détaillés. Un peu comme un cahier des méthodes. Il y avait quatre composantes : un processus d’information, un processus pour la délégation de pouvoir, un troisième pour les prises de décision et un dernier pour l’évaluation. Cela permettait à toutes les parties prenantes de se comprendre et donc de retrouver enthousiasme et productivité. Certes, ce n’était pas le paradis, c’était compliqué mais on s’est toujours parlé dans toutes les situations. Le dialogue social est un brin de l’ADN de l’entreprise, l’autre étant la compétitivité. Je pense qu’on ne peut pas diriger une entreprise, quel que soit son domaine, s’il n’existe pas.
Quel regard portez-vous sur le dialogue social depuis le début de la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 ? Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir et quelles seraient les pratiques à conserver ?
Je n’ai pas changé d’opinion sur la nécessité et l’utilité du dialogue social. Plus qu’indispensable, le dialogue social est, avec la compétitivité, un des piliers du développement de l’entreprise. Ce dont nous nous apercevons avec encore plus d’acuité aujourd’hui, c’est de l’absolue nécessité de la confiance entre les acteurs. Cette dernière ne se décrète pas, elle se construit dans le temps. Partout où il y a cette confiance, le dialogue social est renforcé car la crise induit plus de solidarité. En revanche, plaquer un dialogue social sous prétexte que c’est la crise, ça ne marche pas, nous pouvons le voir avec le personnel soignant. Le dialogue social ne peut pas s’improviser.
Vous êtes adhérent de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
Je pense qu’elle joue un rôle de partage d’expérience qui est très utile. J’ai donné énormément de cours, de conférences, de séminaires à des étudiants. Ceux-ci sont toujours attirés par le fait que j’ai bien réussi sur le plan économique, dans l’entreprise, mais quand ils viennent au cours, ils sont surpris car je leur parle de toute autre chose : je leur explique que le résultat d’une entreprise, c’est uniquement ce qui vient à la fin. Si l’on ne construit pas ce résultat avec du dialogue social, cela ne fonctionne pas. Il n’y a pas que le dialogue social d’ailleurs, c’est plutôt la réalité de la communication et de la relation. Donc, l’association permet de faire ça, d’écouter les expériences des autres, et de faire du prosélytisme
Avez-vous vu un film ou lu un livre que vous recommanderiez à la communauté Réalités du dialogue social ?
Deux livres ont récemment retenu mon attention.
Le premier titre est lauréat du Prix du livre Planète Social 2020, intitulé « Stratégie d’entreprise & droit du travail » par Mickaël d’Allende, avocat associé ALATANA. C’est une boite à outils fantastique, très enrichissante.
Le second ouvrage, « Du silence à la parole », par Jacques Le Goff, est un livre formidable car extrêmement vivant, et qui replace l’évolution du droit du travail dans son contexte historique. Il permet de comprendre les raisons qui font qu’à une époque, telle ou telle décision a été prise. Je pense que l’on est fortement soumis à son époque. L’époque dit quelque chose, mais ce n’est pas immuable. On ne faisait pas le droit au 19ème siècle comme on le fait aujourd’hui et cela changera encore. Il est intéressant de voir les influences externes sur l’évolution de la règle.